Par Cyril Demaria, Nicolas Humeau et Laurent Kretzschmar
Sous sa forme actuelle, l’offre « moteurs de recherche » est arrivée à maturité
Enjeu commercial majeur, le moteur de recherche est devenu un « produit d’appel ». Parmi les pionniers, Yahoo et Altavista lui ont associé des fonctionnalités sources de revenus, parfois au détriment de la recherche proprement dite. Bénéficiant d’une image de spécialiste de la recherche, Google s’est rapidement imposé, notamment grâce à des techniques de marketing viral. Pour s’attaquer aux leaders, il a en effet proposé une page d'accueil sans publicité et séparé distinctement les liens sponsorisés des liens classiques, classés par leur degré de popularité. Bien que critiquable1, la popularité détermine en effet le classement des sites par Google. Ce système devait couper court aux abus reprochés aux concurrents, mais il fut détourné par la multiplication de liens croisés.
Cas d’étude
Analyse du moteur de recherche Google d’après la grille de Porter étendue
|
Nouveaux entrants |
Le secteur des moteurs de recherche n'est pas à l'abri d'un scénario où un nouvel entrant, tout comme Google, entrerait sur le marché en misant sur une technologie intégrant par exemple des modèles d'analyse prédictive ou d’aide à la recherche inspirés de l’intelligence artificielle. Le web sémantique, s’il venait à émerger comme nouveau standard, pourrait contribuer à redistribuer les cartes. |
Barrières à l'entrée |
Elles sont principalement technologiques et éventuellement marketing. Un concurrent devrait développer un produit plus performant que ceux disponibles sur le marché et faire face à des marques installées très puissantes. Les fonds d’investissement pourraient financer une entreprise disposant d’une technologie prometteuse qui, à défaut d’une image de marque, pourrait se populariser sur un mode viral ou bien intéresser un concurrent actuel de Google. La naissance un moteur de recherche open source n'est en outre pas impossible… La généralisation des Web services pourrait également répondre à certains besoins génériques de recherche, et donc faciliter l’accès au marché. |
Intensité concurrentielle |
Google le déclare lui-même dans son S-1 « We face significant competition from Microsoft and Yahoo. » En particulier, Microsoft serait probablement un acheteur potentiel pour toute technologie susceptible de lui redonner la main sur ce marché critique. |
Pouvoir des clients |
Les clients ne sont fidèles à un moteur de recherche que parce qu’il répond à leurs besoins, mais pas vraiment au delà. L’image de marque ne suffit pas à rendre captive une clientèle. Or, les revenus publicitaires (96% des revenus de Google) sont liés à la fréquentation des internautes... |
Pouvoir des fournisseurs |
Le contenu d’Internet est accessible gratuitement par tous et les annonceurs publicitaires ne sont pas fidèles. |
Technologies et substitution |
Les moteurs de recherche traditionnels montrent leurs limites, et d’autres interfaces que le PC (handhelds notamment) émergent rapidement, comme nous le verrons dans la seconde partie de cet article. |
Réglementation et législation |
Une question importante pour tous les moteurs de recherche est notamment le droit des marques, les brevets accordés par l’Office américain sur des technologies nécessaires à la navigation (le double-clic est désormais breveté par Microsoft). Tout aussi importante est la question du traitement des données privées qui pourrait limiter les innovations potentielles telle que Gmail. |
La popularité croissante d’un moteur de recherche fait peser une forte pression commerciale sur les référencements. Alors qu’il était identifié comme le champion de la recherche et comme une « boîte à outils » technologique - Yahoo a eu recours à ce moteur, avant d’acheter Inktomi - Google fut à son tour victime de son succès.
Cela induit une certaine dégradation de la performance du moteur à mesure que le système de référencement est connu du grand public : l’enjeu consiste à payer pour des liens sponsorisés qui sortent parmi les premiers (Yahoo) ou pour être associé à certains mots clés. Tout comme Yahoo, Google se trouve instrumentalisé par les professionnels souhaitant promouvoir des sites commerciaux, à tel point que les résultats semblent parfois proches de ceux des autres moteurs2. Accusé d’enfreindre le droit des marques3, Google s’est par ailleurs « yahooisé » en développant des services associés à son moteur de recherche4.
Bien que leader sur son marché avec 48% des requêtes5, comparés à 20% pour Yahoo, 14% pour MSN et 7% pour AOL, Google fait face à l’amélioration progressive de la performance des moteurs concurrents, ce qui diminue peu à peu son avantage concurrentiel. La rapidité et la pertinence des résultats ne le distinguent plus d’autres moteurs. Seule sa capacité d’indexation semble encore différenciante (notamment du point de vue des formats de documents reconnus) mais cet avantage diminuera probablement à mesure que Yahoo ou Microsoft investissent dans leurs outils.
Malgré les améliorations techniques, le coeur de la technologie des moteurs de recherche ne s'améliore plus de manière visible. L’innovation se situe en marge du produit principal : présentation des résultats (options de spécialisation comme Froggle) ; interface de recherche (recherche directe depuis le navigateur ou le bureau avec Google Bar et Desktop) ; ou encore capitalisation sur le produit de base pour offrir d’autres services (Gmail) mais pas sur la core competence de Google qui a construit jusqu’à présent son extraordinaire image de marque . Une extension radicale du produit vers le développement d’une interface originale propre pouvant remplacer les navigateurs semble lointaine.
Aujourd’hui, 83% des utilisateurs indiquent qu’ils sont très satisfaits des résultats qu’ils obtiennent, mais 63% indiquent qu’ils changeraient de moteur de recherche s’ils en trouvaient un qui soit meilleur. Toute entreprise sait que ses clients sont toujours plus exigeants et les internautes ne dérogent pas à cette règle en matière de recherche. Mais quels sont ces nouveaux besoins ? Très classiquement, un moteur de recherche donne généralement accès à une information donnée, mais pour découvrir de nouvelles choses, dont l’utilisateur ne soupçonne pas l’existence et qui pourraient lui être utiles, les moteurs de recherche restent aujourd’hui impuissants. Le nouveau graal de la recherche sur Internet ne serait-il pas la face cachée de la recherche : les questions que l’on ne sait pas se poser ? D’autres besoins recèlent-ils des sources de différenciation ?
-----------------
1WILDSTROM (S.), Out-Googling The Top Search Engine; Online encyclopedias yield more specialized results, BusinessWeek, 31/5/2004, p. 23
2DELANEY (K.), Study Questions Whether Google Really Is Better, The Wall Street Journal, 25 May 2004
3VISE (D.), Firms Sue Google for Ad Links to Competitors; Search for One Brand Can Bring Up Another, The Washington Post, 26/5/2004
4ELGIN (B.), Could Ignite Fire Up Google?, BusinessWeek, 31/5/2004, page 13
5STANDARD AND POOR’S, Google Faces Challenges as it Expands Beyond Core Search Engine Competency, Says S&P Equity Research Services in Google Pre-IPO Report, Standard Poor’s Press Release
6DELANEY (K.), Study Questions Whether Google Really Is Better, The Wall Street Journal, 25/5/2004 : “Nearly 90% of Google users said they had a "strongly positive experience," compared with 68% for Yahoo, 50% for Ask Jeeves, 48% for Lycos and 41% for MSN”
|