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  Février 2005
     

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Les marchés d’opinions – un outil d’avenir ?

 
 
   


Par Frédéric Bachelet

La plupart des décisions managériales doivent à un moment ou à un autre porter un jugement sur des événements futurs. Fixer un niveau de production pour un nouveau produit implique par exemple qu’une opinion sur les probabilités de succès du produit soit formulée. Ces prédictions sont difficiles à produire, la plupart des managers ayant recours à une forme d’intuition (basée sur des données existantes mais insuffisantes ou sur l’accumulation d’expériences antérieures) pour, sinon justifier, du moins fournir les informations nécessaires à la bonne marche de l’entreprise.

Les marchés d’opinions, aussi appelés prediction markets, permettent de remplacer cette intuition ou ce manque d’information par une mesure concrète, souvent sous forme de probabilités, des possibilités d’occurrence d’un événement futur. Utilisant les mécanismes des contrats futures, ces marchés offrent un lieu où les opinions de différents acteurs de l’entreprise sont rassemblées et échangées, chacun offrant une perspective et des savoirs différents. In fine, une opinion collective est formée autour d’un sujet central, qui peut être ensuite utilisée pour prendre une décision.

Les contrats futures

Les contrats futures sont couramment utilisés dans les milieux financiers et leur principe est relativement simple : le contrat future permet de prendre une position anticipée sur l’achat d’un produit dont le prix est sujet à variation. Si je cherche à acheter du soja dans un mois, je peux conclure aujourd’hui un contrat future avec un vendeur qui me garantira un prix fixe, quelles que soient les variations du prix du soja entre temps.

Qui plus est, il existe des marchés où il est possible d’acheter et de vendre des contrats futures et ainsi corriger ses positions en fonction de ce que l’on pense de l’évolution du prix du produit sous-jacent.

Un marché de contrats futures est donc d’abord un marché d’opinions sur l’événement sous-jacent (le prix du soja). Ces nouveaux marchés peuvent être utilisés pour valoriser et suivre les tendances d’opinions sur des événements opérationnels ou non financiers, tels que les probabilités de succès d’un nouveau produit ou les niveaux de production anticipés pour certaines périodes de l’année.

S’il est tentant d’assimiler ces marchés aux classiques enquêtes d’opinions ou même aux études de marché, des différences fondamentales distinguent ces systèmes, insistant sur l’avantage des marchés d’opinions qui :

1. jouent sur la précision d’un prix d’équilibre entre l’offre et la demande plutôt que sur une moyenne pondérée basée sur un échantillon représentatif et donc offrent une meilleure garantie de qualité ;

2. évoluent en temps réel et permettent donc le suivi de tendances ;

3. sont plus motivants pour les participants puisqu’ils offrent une plateforme de jeu dynamique (variabilité des récompenses en fonction des résultats du participant ; présence d’une structure de compétition) ;

4. sont bien moins coûteux à mettre en place et à entretenir et peuvent donc être utilisés beaucoup plus régulièrement.

Ces marchés existent déjà sur Internet et sont utilisés majoritairement pour anticiper les résultats d’élections, d’événements sportifs ou plus couramment les évolutions des indicateurs clés économiques (Trade Sports; Innovation Futures du MIT).

Un nouvel outil de décision pour l’entreprise

L’idée est donc alléchante pour les entreprises d’utiliser ces méthodes pour obtenir des informations pertinentes sur des événements jusque là difficilement quantifiables ou pour lesquels le degré de rétention d’information altère invariablement le niveau de qualité des données récoltées selon des méthodes traditionnelles.

Mais le véritable argument en faveur de l’utilisation des marchés d’opinion par les entreprises reste qu’ils ont prouvé être plus précis que les sondages ou enquêtes d’opinions auxquels on a pu les comparer, et ce sur des périodes de temps significatives. Récemment par exemple, les marchés ont prédit avec plus de précision la victoire de George W. Bush. Dans le domaine commercial, HP les utilise depuis plusieurs années pour prédire les niveaux de vente mensuels de certains produits parce qu’ils se sont révélés plus précis que les systèmes usuels dans plus de 75% des cas . Ils ont en outre l’avantage d’être dynamiques et de mettre en évidence des tendances que les instituts de sondages sont incapables de déceler sans répéter souvent leurs enquêtes pour valider l’actualité des résultats et en modéliser les évolutions.

Les marchés d’opinions fonctionnent parce qu’ils permettent d’assimiler conjointement plusieurs facteurs qui assurent la diffusion sans réserves d’informations de qualité, non seulement en fournissant aux participant des récompenses, mais aussi et surtout :

- en leur permettant de choisir la mauvaise option (donc en acceptant les erreurs).

- en ne les forçant pas à fournir des raisonnements supportant leurs choix.

Libérés de ces contraintes, les utilisateurs peuvent se permettre de prendre sur ces marchés des risques qu’ils n’auraient pas, souvent pour des raisons politiques, envie de prendre dans des situations plus classiques d’analyse de données.

Précautions nécessaires

Ces points sont capitaux et permettent de comprendre les difficultés qui apparaissent au moment de la création et de la mise en place de ces marchés.

Le choix des participants est problématique et le poids de différents groupes doit être mesuré avec soin pour correspondre au mieux aux objectifs managériaux. Lorsqu’on recherche des informations sur le succès d’un nouveau produit combien de consommateurs doit-on inclure, combien de membres des services R&D, combien d’opérationnels, d’autres personnels ? Doit-on privilégier l’un ou l’autre de ces groupes ? Les premiers travaux sur le sujet montrent que les marchés sont d’autant plus efficaces qu’ils sont larges et constitués d’acteurs variés et une première recommandation voudrait que l’entreprise soit aussi inclusive que possible.

Le choix des options est lui aussi important. Elles doivent pouvoir être définies avec précision, s’inscrire dans une période de temps fixe et, lorsque cette période est écoulée, fournir un résultat indubitable, soit un chiffre, soit une réponse de type « oui » ou « non ». C’est la responsabilité du management de mettre en place un marché qui soit suffisamment précis pour lui fournir les informations désirées, mais aussi suffisamment engageant pour stimuler la participation des acteurs. La question des bénéfices que peuvent tirer les acteurs se pose donc également, et pas seulement en termes financiers.

Enfin, l’attitude du management doit être positive et mesurée. Ces marchés ne fonctionnent pleinement que s’ils permettent aux utilisateurs d’agir librement. Il serait donc contre productif d’analyser ou de contrôler les inputs individuels. Ces marchés doivent être considérés pour ce qu’ils sont : des outils au service de processus de prévision plus complexes, une nouvelle source d’information et une manière intelligente de formaliser le savoir intuitif de l’entreprise. L’objectif des marchés est de faciliter la diffusion d’information. Se servir des données fournies pour des utilisations qui pourraient avoir des effets négatifs sur les participants est donc à proscrire et l’entreprise devra prendre soin de garantir leur indépendance d’opinion.

La valeur ajoutée de ces nouvelles méthodologies de collecte d’information peut dans certains cas être inestimable. Il suffit d’imaginer un instant les sommes qui auraient été économisées par les entreprises de télécommunication si elles avaient pu utiliser les marchés pour mettre en perspective les promesses de la téléphonie mobile de troisième génération. Au-delà de ces cas extrêmes, les marchés d’opinions sont une innovation importante au service de toute entreprise dont les décisions opérationnelles sont largement dépendantes d’estimations ou de prévisions liées à des événements futurs. Libre à elle d’imaginer les meilleurs ajustements, les meilleurs scénarios de mise en place de ces marchés de manière à ce qu’ils répondent aux mieux à ses besoins et s’adaptent à sa culture.

 
 
 
Liens


Pour en savoir plus

Futures Markets in Everything
, New York Times - Noam Scheiber, December 14, 2003

Middle East futures market returns
- CNN

Amid furor, Pentagon kills terrorism futures market
- CNN

Trade Sports


MIT Innovation Futures


Iowa Electronic Markets


Hollywood Stock Exchange


Références bibliographiques

The wisdom of crowds - James Surowiecki, Random House, 2004


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