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  Janvier 2005
     

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Convergence des investissements alternatifs : une impasse

 


Par
Cyril Demaria

Perçus comme relais idéal de marchés cotés sans relief, les investissements alternatifs (capital investissement, fonds d’arbitrage et immobilier principalement) font l’objet d’une frénésie croissante. Les allocations d’actifs des investisseurs institutionnels (tels que les fonds de retraite) aux investissements alternatifs augmentent de manière régulière, inondant des secteurs fragiles sous des flux de capitaux. Les marchés de l’arbitrage (hedge funds) et de l’immobilier sont régulièrement cités comme étant potentiellement en surchauffe. Selon JP Morgan, les fonds d’arbitrage gèrent actuellement 1000 milliards de dollars avant effet de levier. Les prix de l’immobilier explosent, sous l’impact combiné du vieillissement de sociétés développées modifiant leur allocation d’actif et du profil de rendement-risque historiquement attractif que cette classe d’actif offre aux assurances et fonds de retraites. Les rendements des fonds d’immobilier, tout comme des fonds d’arbitrage, sont attendus en baisse : « il y a plus de transparence en affaires, il est donc de plus en plus difficile de trouver un joyau caché », comme l’indique Henry Kravis, fondateur du fameux fonds de leveraged buy out (LBO) KKR.

De manière plus préoccupante, le marché du capital-investissement, se remettant lentement de la bulle du capital risque et cherchant à éviter une bulle du LBO, est souvent associé à ces commentaires. Selon CalSTRS, Swensen et Pioneering Portfolio Management, sur les vingt dernières années, le rendement des fonds d’obligations, d’actions et d’immobilier du quartile supérieur était respectivement de 9,7%, 19,7% et 5,9% contre 23,1% et 25,1% pour les fonds de LBO et de capital-risque du quartile supérieur. Le taux de rendement interne (TRI) moyen des fonds de LBO et de capital-risque du dernier quartile était de 10,1% et de 3,9%, illustrant la difficulté à sélectionner les fonds et à avoir accès aux meilleurs sociétés de gestion. Qui plus est, les rendements décroissants des obligations et des actions ont encouragé l’allocation de fonds en capital-investissement.

Toutefois, le capital-investissement pourrait ne pas être prêt à accueillir ce surcroît de capitaux. Par exemple, les meilleurs acteurs sur le marché du capital-risque américain essaient de dimensionner leurs fonds en fonction des opportunités d’investissement anticipées. Les sociétés de gestion émergentes doivent prouver leur capacité à trouver des opportunités et à se lancer, remplaçant ainsi la génération actuelle d’investisseurs ayant réussi. D’inquiétants « venture hedge funds » (fonds d’arbitrage en capital-risque) ont été proposés pour permettre aux fonds de capital-risque du dernier quartile d’améliorer leur TRI et leur permettre de concurrencer les meilleurs fonds de la place avec des techniques d’arbitrage.

Ceci a conduit Henry Kravis à exprimer des inquiétudes quant à une supposée convergence d’intérêts entre ces deux segments des investissements alternatifs que sont l’arbitrage et le capital-investissement. L’hypothèse qui sous-tend la promotion d’un produit hybride combinant capital-risque et arbitrage est que les fonds d’arbitrages apportent au produit de la liquidité et un levier financier, tandis le capital-investissement élargit l’univers d’investissement global.

Cela soulève plusieurs questions quant à la logique de cette curieuse alliance. Les fonds d’arbitrage ont construit leur position sur les imperfections du marché, des stratégies d’investissement de court terme et des modèles quantitatifs alors que le capital-investissement est basé sur la création de valeur, une approche qualitative et à long terme. Vouloir combiner ces deux approches pourrait s’avérer inefficace, mais repose aussi sur une erreur radicale de compréhension de l’écosystème du capital-investissement. Pour les besoins de la démonstration, l’accent sera porté sur l’écosystème du capital-risque.

Première erreur : combiner le meilleur des deux mondes pour créer la prochaine martingale

Selon Hilliard et Baden-Fuller, les créateurs du concept de “venture hedge fund”, un fonds d’investissement en capital-risque à succès devra à l’avenir évoluer vers une nouvelle stratégie combinant l’investissement en capital-risque et l’arbitrage. Les TRI et les rendements cash-on-cash seraient améliorés en abandonnant les stratégies de fonds mutualisés pour celle de fonds d’arbitrage. Les fonds devraient identifier des opportunités d’investissement dans des positions de vente à découvert liées à leurs investissements de portefeuille, ceci afin d’améliorer les rendements de leurs succès. Les auteurs font état d’un problème relatif à l’investissement dans des entreprises disruptives : les plus values résultant de disruption sont souvent diffuses et retardées ; alors que les chutes de capitalisation boursière dont souffrent les entreprises victimes de la disruption sont souvent plus immédiates.

Le projet est donc de marier deux savoir-faire différents, ce qui pourrait s’avérer difficile. Ceci est sur le point de se produire sur le marché du LBO, où KKR doit affronter les fonds d’arbitrage pour acquérir une position majoritaire dans des entreprises cotées. Pour les fonds d’arbitrage, la logique de ce type d’opération est de miser sur les affaires en perte de vitesse, prendre la majorité et nommer un nouveau dirigeant capable de les redresser. Cela réduit l’activité du LBO à un jeu de lego. Comme l’indique Kravis : « les fonds d’arbitrage savent comment choisir des actions et gagner beaucoup d’argent, mais ce n’est pas la même chose que de créer de la valeur par le contrôle d’un actif sur le long terme de manière active ». De la même manière, les fonds d’arbitrage n’essaieront pas seulement de bénéficier du retour à une meilleure fortune de l’entreprise, mais aussi du levier des options.

Cela est plus délicat avec des entreprises non cotées, et spécialement avec des investissements en capital-risque, que les gérants de fonds d’arbitrage semblent inaptes à gérer de manière efficace du fait de leur manque d’expérience. La détection d’opportunités d’investissement et la mise en oeuvre des investissements fait partie du savoir-faire d’un gérant de fonds de capital-risque. Toutefois, les gérants de fonds de capital risque ambitieux pourraient être attirés par l’idée d’appliquer les techniques d’arbitrage à leurs investissements et recruter un associé supplémentaire pour mettre au point ce type de stratégie. Ceci est plus ou moins nécessaire quand les sociétés à succès sont introduites en bourse : les fonds de capital-risque doivent gérer leur sortie, souvent après une période minimum de six mois (période de lock-up).

Deuxième erreur : opposer les marches cotés aux investissements en capital-risque

Un investissement en capital-risque, même dans le cadre d’une technologie disruptive, c’est avant tout la sélection d’une équipe de management, d’une entreprise et la volonté de créer une affaire. Une pure approche financière est donc contre-intuitive, et pourrait bien avoir été à la source de la bulle du capital-risque qui a mené aux excès des années 1999 et 2000. Une technologie particulière est rarement développée par une seule entreprise. Il y a un écosystème de recherche, de développement, d’idées, d’efforts qui mènent à la naissance d’une entreprise potentiellement gagnante. Quelques unes de ces entreprises à succès émanent de grands groupes, qui peuvent même investir dans la nouvelle entreprise. Ainsi, miser contre les groupes cotés pourrait être inefficient s’ils font partie de l’aventure comme investisseurs. L’histoire économique a démontré à plusieurs reprises que l’avantage du first mover est en fait un mythe.

Par ailleurs, les groupes cotés restent un des principaux scénarios de sortie d’investissement, en particulier quand les fenêtres d’introduction en bourse sont fermées. Mettre des options sur des acquéreurs potentiels cotés peut être contre-productif car cela pourrait les priver des moyens (associant souvent trésorerie et actions) d’acquérir les sociétés de portefeuille que les fonds de capital-risque veulent vendre. Ainsi, un fonds de capital-risque pourrait rester collé à son investissement tandis que le groupe coté se concentre sur ses propres forces pour maintenir le cours de son action. Comme il ne peut éviter la concurrence, il pourrait même essayer de répliquer l’innovation en interne à bas prix, même si cela doit prendre plus de temps. Pour rester dans la course, il pourrait attendre une opportunité de regagner le terrain perdu et mobiliser sa puissance financière et marketing.

Un autre problème est la vente à découvert des groupes cotés parce qu’un fonds de capital-risque donné a investi dans une société possédant une technologie disruptive. La plupart des sociétés cotées sont des conglomérats, qui peuvent pâtir de l’introduction de nouvelles technologies concurrençant leurs lignes de produits existantes, mais personne ne peut prédire leur réaction. Certaines d’entre elles s’avèrent adaptables, intégrant la nouvelle technologie dans leurs produits et services, achetant une licence, combinant cette nouvelle technologie avec certains de leurs actifs et bénéficiant ainsi de l’effort des jeunes sociétés qui ouvrent un nouveau marché et commencent à l’évangéliser. La concurrence élargit le marché – ce n’est jamais un jeu à somme nulle.

Enfin, les gérants de fonds de capital-risque savent bien que le timing d’un investissement n’est jamais garanti. Prévoir de vendre des options sur une action de société cotée est incompatible avec l’idée d’un investissement en capital-risque. Une introduction en Bourse retardée, un rythme d’adoption plus lent que prévu, un chiffre d’affaires trimestriel moins élevé… tous ces événements pourraient jouer contre une stratégie d’arbitrage, même s’il est toujours possible de « rouler » les positions.

Troisième erreur : le marché évolue vers une logique de finance des marchés

Henry Kravis notait récemment que le Sarbanes-Oxley Act de 2002, en réponse à une vague de scandales financiers, pourrait redonner un élan aux fonds de capital investissement dans les années à venir : « Dans la mesure où Sarbanes-Oxley conduit les entreprises cotées à être moins compétitives, il y a une opportunité pour les fonds de capital-investissement de retirer ces entreprises de la cote et de leur insuffler une nouvelle dynamique de croissance. » Cela va exactement à l’encontre de la combinaison d’une logique de capital-investissement et d’arbitrage.

2003 fut l’année où une vague de sociétés de gestion de fonds de capital-investissement sollicitèrent une cotation comme BDC (business development company), souhaitant ainsi lever des montants considérables tout en se libérant de la contrainte de lever des fonds tous les deux à quatre ans. Le fait que la plupart des BDC n’aient jamais été introduites ne devrait pas occulter un changement possible dans la logique d’investissement, vers une orientation plus créatrice de valeur. On peut penser que le concept de « venture hedge fund » est en fait l’expression d’un désir de trouver un nouveau relais de croissance pour les fonds d’arbitrage, et non de fournir de meilleurs TRI aux fonds de capital-risque – ce qui est confirmé par l’approche de certains fonds de capital-risque américains qui adoptent des structures de partnership pour obtenir le label de « private equity fund » auprès de la SEC. Au contraire, les récents changements réglementaires, dont le Sarbanes-Oxley Act, ouvrent la voie aux fonds de capital-investissement souhaitant retirer de la cote de petites et moyennes entreprises.

Quelles leçons tirer de ce débat ?

Les TRI à long terme du capital-investissement ne déclinent pas

Selon McKinsey, le paysage concurrentiel dans lequel les fonds de capital-investissement ont réussi a changé, avec une concurrence plus importante et l’émergence des ventes aux enchères. Toutefois, même si les gérants de fonds de LBO font face à une plus grande concurrence et ne sont plus les gardiens d’une supposée technique financière secrète, les TRI des meilleurs fonds restent élevés. Le fait que les acteurs habitués à acheter, restructurer rapidement et revendre font face à des difficultés renforce l’analyse selon laquelle les spécialistes du capital-investissement devraient se concentrer sur leurs compétences clés : créer de la valeur dans leurs sociétés de portefeuille.

Arrivé à maturité, le capital-investissement devrait être relayé par de nouveaux secteurs d’investissement, et non de nouveaux outils

Soros Fund Management, une grande société de gestion de fonds d’arbitrage, a décidé de se séparer de sa division de capital-investissement, recentrant ainsi l’entreprise sur son activité d’arbitrage. En considérant le savoir-faire de cette entreprise et son aptitude à innover et tirer avantage des opportunités, si la perspective d’un « fonds d’arbitrage en capital-investissement » était une vraie opportunité, Soros Fund Management l’aurait exploitée.

Le fait que Soros ait divisé son groupe montre que le capital-investissement est considéré comme un secteur viable de manière autonome. Le marché du LBO arrive à maturité, avec un écosystème en place et l’émergence d’opérations de secondaire. Le prochain défi n’est pas de trouver de nouveaux outils d’investissement pour l’industrie du capital-investissement mais d’investir dans de nouveaux secteurs, tels que les technologies environnementales.

L’approche tout en un en capital-investissement a montré ses limites

Pour produire des TRI élevés, les gérants de fonds de capital investissement doivent se concentrer sur leurs compétences clés. Il est temps de choisir une stratégie et développer un savoir-faire spécifiques. Les fonds tout en un ne sont pas une perspective séduisante, et si l’analyse des « venture hedge funds » prouve quelque chose, c’est que combiner des savoirs et des expériences hétérogènes est délicat et ne peut être que contreproductif. Les fonds de fonds proposent aux souscripteurs une diversification de leurs actifs, dévaluant de facto l’approche intégrée ; et les fonds gérés par les spécialistes d’une industrie s’avèrent être les meilleurs.

Les sorties (et la liquidité) sont toujours un problème dans l’industrie du capital-investissement

Même si le concept de "fonds d’arbitrage en capital-investissement" ne fournit aucune solution pour cette question spécifique – autant pour les sociétés de portefeuille qu’au niveau des souscripteurs – il rappelle toutefois que la prochaine frontière du capital-investissement reste la liquidité. Les fonds de fonds cotés sont-ils la solution ?

 
 
 
Liens


Pour en savoir plus

Should a venture capital fund act more like a “venture hedge fund”? - Baden-Fuller(C.), Hilliard (B.), Working Paper 2004, 05/2004

KKR founder warns on a hedge fund - Financial Times, Politi (J.), 09/22/2004 (enregistrement)

A New Strategy for Venture Investors: Hedge - Knowledge@Wharton, 06/2004 (enregistrement)

What Do Entrepreneurs Pay for Venture Capital Affiliation? - Knowledge@Wharton, 05/2004 (enregistrement)

Hedge Fund Investing: Looking for That Edge - Knowledge@Wharton, 03/2004 (enregistrement)

Private equity's new challenge - McKinsey Quarterly, 08/2004 (enregistrement)

The year ahead - Private Equity On Line, 12/23/2004


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