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  Novembre 2003
     

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Entretien avec Gérard Debrinay

«Pas d’amorçage sans intervention de la puissance publique, ni de prise en compte des facteurs culturels» (2/2)

Entretien mené par Nicolas Humeau et Cyril Demaria

 
   

Gérard Debrinay est Président d’Algoé Consultants depuis 1996. Il a rejoint ce Cabinet de conseil en management en 1977.

Algoé Consultants est une société active dans les domaines de l’innovation et de la technologie, dans lesquels son Président s’est investi à titre personnel depuis quinze ans, notamment comme vice-président de l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées) de Lyon.

 

Depuis le printemps 2002, Gérard Debrinay est Président d’Amorçage Rhône-Alpes (ARA).

3. Le capital risque français : à l'échelon régional

360j. - D'après votre expérience, en matière d'innovation, peut-on parler de Paris mégapole innovante et du désert français ? A cet égard, est-ce que Sofia Antipolis vous semble être une réussite ?

G.D. - Grenoble est un vrai succès. La connexion entre le LETI-CEA, les écoles d’ingénieurs, l’université et les laboratoires de R&D des industriels fonctionne d’autant plus parfaitement qu’elle s’appuie sur une vraie spécialisation industrielle. C’est grâce à cela qu’a pu être réalisé Crolles-II (un investissement de 2 milliards d’euros commun à ST Microelectronics, Philips et Motorola). Il est facile de « vendre » Grenoble aux 1.500 ingénieurs de Motorola de Houston et Dallas devant déménager en France. Le site est attractif en termes de qualité de vie, mais aussi par l’environnement scientifique et technologique, ainsi que les études des enfants. Les retombées industrielles de laboratoires sont importantes pour la région. Les spin-offs formelles ou informelles, comme SoiTec ou Imaje (à Valence), sont une source potentielle de projets que nous pourrions d’ailleurs financer.

Je connais moins bien Sofia. C’est une réalité du paysage français. Ce qu’elle produit, soit en termes de création d’emplois, soit en termes de réussite d’entreprise, je ne saurais le dire… La réussite de Sofia dépasse d’ailleurs Sofia. Certains messages sont passés sur la high tech, sur le fait que cela ne se développait pas à partir de rien. Il y avait des facteurs objectifs. Par exemple, il y a des critères communs avec Grenoble, en termes de qualité de vie ou d’environnement scientifique et technique…

Les ingrédients du succès sont connus, mais il y a souvent un manque de volonté politique pour faire les choix de spécialisation nécessaires. Grenoble l’a compris depuis longtemps. Lyon, mais c’est récent, semble le comprendre maintenant avec entre autres le grand projet sur le canceropole.

Or, il faut du temps pour faire les choses, et le court terme n’est pas nécessairement celui de la technologie et de l’innovation. De plus, la technologie c’est toujours une affaire d’externalités positives dont doit bénéficier la collectivité dans son ensemble ; d’où la légitimité de l’intervention de la puissance publique.

Mais le fait est que les restructurations en cours dans les grands groupes ne sont pas très favorables aux régions françaises. Quand Rhône-Poulenc fusionne avec Hoechst pour produire Aventis, il y a un recentrage sur Paris et l’Allemagne. Quand Renault Véhicules Industriels devient Renault Trucks, filiale de Volvo Trucks, cela signifie un appauvrissement des centres de décision régionaux - tout comme à Grenoble quand Merlin-Gérin est devenu Schneider Electric.

Il y a quelques années, 60% des chercheurs étaient concentrés en Ile-de-France. Or, quand le CEA doit rationaliser ses centres de calculs, il ne ferme ni Toulouse, ni Grenoble mais recentralise sur Saclay ; pour moi c’est un non-sens à tout point de vue. Pourtant, Grenoble offre des avantages indéniables qui font que l’arbitrage n’est pas si clair. Mais c’est assez frappant. Si la statistique est encore valide, alors le rendement de la recherche montre que ce tropisme parisien est contre-productif.

4. Le capital risque à l'échelon international

360j. - Auriez-vous eu vent d'expériences dans d'autres pays européens dont la France devrait s'inspirer ?

G.D. - Insuffisamment. Le soutien aux PME en Allemagne fait qu’il existe des PME de 1 à 3 milliards d’euros autonomes et indépendantes. En France, cela n’existe pas dans les mêmes proportions : elles se vendent trop souvent avant d’atteindre cette taille. Les facteurs sont nombreux, dont la fiscalité (Impôt de Solidarité sur la Fortune inclus), les aspects culturels, le comportement des banquiers… Nous avons une grande variété dans le tissu économique aux deux extrémités du spectre mais pas sur les moyennes entreprises. Ce tissu intermédiaire entre 100 millions et un milliard d’euros est très insuffisamment soutenu et financé en France.

Il y a en Allemagne des fonds de capital-risque ou de capital-développement avec des puissances d’intervention radicalement différentes. Ce qui prend trois tours de financement en France peut être fait en un seul en Allemagne. Le problème c’est qu’en France, il y a un « trou » de financement entre l’amorçage assuré par les fonds régionaux et les gros tours de table. Les dossiers intermédiaires ont beaucoup de mal à être financés. Les levées de biotechs à 1 ou 2 M€ ne trouvent pas preneur. L’ARA est capable de monter en syndication jusqu’à 1 million d’euros mais pas au-delà. Les gros fonds régionaux interviennent à partir de 3 M€ et ce plancher se relève tous les jours. Il y a donc un problème sur les dossiers de taille intermédiaire.

360j. - Le premier fonds de capital-risque américain a été créé par un officier militaire français aux Etats-Unis après la deuxième guerre mondiale. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

G.D. - N’oubliez pas d’abord que même à Harvard où il était enseignant, le Général Doriot était perçu comme un marginal, s’intéressant à un sujet mineur, la création, alors que ce qui comptait c’était les grands groupes (corporate America). Puis quand il a réussi, on lui a donné raison. Mais quelque part, c’est Christophe Colomb qui a inventé le « capital d’aventure » (venture capital) et c’est l’Europe qui a minima a inventé le concept. Quelle fut la prise de conscience de Doriot, je ne le sais pas, mais sa contribution fut déterminante pour faire reconnaître ce rôle essentiel des fonds de capital-risque au service du développement de l’économie.

5. Capital risque et consulting

360j. - Quelles sont les interventions d'un Cabinet comme Algoé dans le petit monde de l'innovation ? De son financement en amorçage ?

G.D. - Algoé intervient de longue date sur ce champ qui n’est pas un terrain facile et peut le faire le plus souvent parce qu’il y a des dispositifs de soutien appropriés, notamment grâce à l’ANVAR. Plus récemment nous avons développé pour cette même ANVAR un outil de rating technologique qui permet à ses chargés d’affaires d’évaluer l’intérêt stratégique des projets qu’on leur demande de financer ; il est aujourd’hui utilisé par certains des homologues européens de l’ANVAR. Cet outil est très performant et c’est un sujet de fierté pour le Cabinet.

Au passage, je voudrais souligner la contribution essentielle de l’ANVAR sur les sujets dont nous parlons. Dans une enquête que nous avions menée auprès des chefs d’entreprise, l’ANVAR était reconnue comme un acteur intervenant durablement et en profondeur et avec une satisfaction importante des industriels.

Le modèle de notre Cabinet aurait pu être celui de Arthur D. Little, avec ce positionnement sur les stratégies d’innovation et une culture technologique forte. Mais quand un Cabinet naît dans un bassin d’emploi manufacturier, la demande des clients est plutôt orientée vers l’ingénierie. Il n’en demeure pas moins que nous restons actifs dans le monde de l’innovation. Nous avons même, passé un temps, été courtiers en technologie via une filiale (Actinove). Mais cela n’a pas fonctionné, sans doute parce que nous étions trop en avance et parce qu’il n’y avait pas de demande solvable en face. Il y a une demande latente, mais pas nécessairement une demande explicite.

Nous sommes très présents sur ce terrain, mais cela n’a jamais pu devenir un véritable enjeu stratégique pour nous compte tenu de la faiblesse de la demande solvable. Ce fut plutôt une succession d’initiatives, et nombre des initiatives pionnières du Ministère de l’Industrie sur l’innovation nous ont concerné de près ou de loin.

Vient ensuite la distinction entre accompagnement et conseil. Pour l’accompagnement, il faut une proximité physique. Le conseil n’est pas suffisant. Les chercheurs-entrepreneurs français ont un véritable déficit de culture économique, et la plupart du temps sont désarmés face au monde de la finance. C’est pour cela que l’accompagnement est essentiel. C’est ce genre d’initiative que soutient Nord Entreprendre (porté par Gérard Mulliez), avec un prêt d’honneur et de l’accompagnement. En matière de création d’entreprises de haute technologie. On a besoin d’être hands on.

Les Américains n’ont pas vraiment ce problème. Ils agissent, ils ont un reporting hebdomadaire… C’est une véritable culture. Est-ce qu’un consultant est fait pour ce genre d’accompagnement ? C’est une question.

 
 
 
Liens


Pour en savoir plus

Algoé


Amorçage Rhône-Alpes
- site officiel

Amorçage Rhône-Alpes
- Fiche de l'annuaire des investisseurs régionaux

Crolles-II
- A propos de Crolles-II

CEA-Leti
- A propos du CEA-Leti

Un peu d’histoire du capital-risque


What is Venture Capital?


Livres

The First Venture Capitalist : Georges Doriot on Leadership, Capital, and Business Organization
- Gupta U., 240 p. , Gondolier, 2004

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