Par Cyril Demaria
Certains mots, comme les biens électroniques, sont aussi vite adoptés
que jetés aux orties. Ce ne serait pas grave si ces mots n’étaient que des tics de langage. Ce n’est pas le cas. La
désignation des biens, enjeu économique important, est protégée par le droit des marques pour ce qui concerne les noms
et les slogans. Mais le langage courant, notre patrimoine collectif qui se forge chaque jour, est particulièrement difficile
à défendre. Pourtant, cette protection est capitale, car la confusion terminologique entourant notamment les concepts de la
net-économie profite à certains acteurs au détriment d’autres, en particulier des consommateurs. Il semblerait que le terme
d’interactivité, jouissant d’une popularité proportionnelle à celle d’Internet, suive ce processus.
Qu’est-ce que l’interactivité ? C’est le résultat direct de la combinaison
entre :
a) la liberté de l’utilisateur d’intervenir à tout moment dans un
processus ;
b) une quasi-infinité de choix d’actions s’offrant à lui et
c) une réponse directe, immédiate et adaptée du support à la sollicitation
de l’utilisateur quelle qu’elle soit.
La liberté d’intervention de l’utilisateur et sa latitude d’action
ne procèdent pas d’une opportunité offerte par le support à un moment donné, mais au contraire d’une adaptation du support à
la liberté initiale de l’utilisateur pour lui offrir des choix. De ces considérations théoriques, il est possible de tirer
quelques conclusions.
La première est que, contrairement à une idée encore répandue, l’immensité
d’Internet n’est pas une source d’inquiétude pour l’utilisateur. Internet a acquis sa popularité grâce au fait que l’on peut
y trouver soi-même un très grand nombre d’informations et de services. Si Yahoo! a été une réussite, ce n’est pas en
restreignant le choix offert à l’utilisateur mais au contraire en lui offrant les clés du Net. De même, la valeur d’AOL tient
à sa capacité à lui offrir une palette toujours plus large d’informations et de services.
Les entreprises qui ont tenté de limiter cette liberté s’y sont brisé les
dents. Un exemple, parmi d’autres, réside dans l’échec du réseau propriétaire initial de Microsoft (MSN). Au contraire, les
entreprises qui ont capitalisé sur l’interactivité ont connu un succès foudroyant, comme le prouve l’exemple du
peer-to-peer, à l’origine de la messagerie instantanée.
L’interactivité pénètre chacune des activités virtuelles de l’individu,
car celui-ci cherche à s’affranchir des cadres traditionnels de consommation de l’information. Ce simple constat prend le
contre-pied de la stratégie d’acteurs pris dans une logique propriétaire, comme les opérateurs de téléphonie mobile cherchant,
pour rentabiliser leurs acquisitions de licences, à reproduire le modèle de MSN. L’accès à leur réseau propriétaire s’ouvrant
sur un simulacre d’Internet grâce à un carrousel regroupant quelques services facturés au prix fort ne séduira pas l’utilisateur
habitué à se bâtir sa propre bibliothèque de liens. Sans offre à valeur ajoutée, les opérateurs de téléphonie mobile rejoindront
ceux de la téléphonie fixe dans leur guerre des prix.
L’avenir de l’Internet mobile ne réside pas dans les terminaux stériles que
sont les téléphones mais bel et bien dans les assistants numériques (PDA), qui sont devenus bien plus que des agendas
téléphoniques. L’intégration des fonctionnalités téléphoniques dans les PDA a débuté chez Nokia et Handspring, tandis que les
récepteurs/émetteurs deviennent une des fonctionnalités de ce dernier. Il est plus facile d’utiliser un Palm Pilot et un
micro-casque pour téléphoner, surfer, et gérer son agenda, que de le faire avec un téléphone mobile.
L’avenir de la « télévision interactive », prise dans cette logique
propriétaire, peut laisser sceptique. Les fusions AOL/Time-Warner et Vivendi-Universal pourraient bien accoucher d’une souris.
Car qu’est-ce qu’une télévision, simple récepteur auquel on ajoute des périphériques inertes à laquelle on imposerait de
dialoguer avec son émetteur ? Un non-sens. Pourquoi l’utilisateur, qui s’affranchit de la contrainte publicitaire grâce au
TiVo, et se donne ainsi les moyens de décider seul de son emploi du temps, régresserait-il vers un modèle où on lui
imposerait ses choix ? A cet égard, la télévision numérique terrestre ne devrait proposer qu’une interactivité « passive »
sans voie de retour, et sans concurrence avec l’ordinateur.
L’avenir du PC est lui-même encore flou. Après l’échec du network computer, qui visait à re-centraliser les ressources matérielles et logicielles, il apparaît en fait que le PC… se dématérialise et se démultiplie. Sa plate-forme standardisée tend à s’éclater entre ses fonctions de computation, de stockage, d’affichage, de sonorisation… qui coexistent peu à peu dans des espaces différents grâce à Internet ou des liaisons sans fils. Parallèlement, on assiste à une mutualisation progressive de l’utilisation des ressources logicielles (logiciels libres) et matérielles. Ceci explique en particulier que les entreprises qui ont anticipé le travail collaboratif et misé sur l’interactivité imposent leurs produits.
3Com, avec son Palm Pilot, a réussi là où Apple, avec son Newton, avait
échoué : il a su allier facilité d’utilisation et le potentiel créatif de l’outil. Non pas en proposant une interactivité-gadget
du support physique mais en ouvrant son support logiciel. En popularisant la conception d’applets pour son Palm, 3Com
a su mobiliser une communauté autour de son produit. L’interactivité est à la base de cette créativité.
|