Par Nicolas Humeau
Une maladie insidieuse
La « fracture numérique » désigne une inégalité d’accès à des ressources informatiques, qui peut prendre la forme :
- d’une inégalité d’accès à un terminal de consultation, séparant :
* les pays développés des pays en développement ;
* et, dans les pays développés :
. les foyers dont les revenus permettent l’achat d’un ordinateur de ceux pour qui cette acquisition est hors de portée,
. les professionnels dont le métier nécessite l’usage d’un ordinateur de ceux dont le métier ne le nécessite pas en première intention.
- ou d’une inégalité d’accès à un contenu numérique, séparant :
* l’ensemble des acteurs recensés ci-dessus (qui n’a pas accès à un terminal n’a pas accès à un contenu) ;
* et, parmi les acteurs disposant d’un terminal :
. ceux qui sont familiers de l’informatique de ceux qui le ne sont pas (on parle à ce sujet de computer literacy),
. ceux qui ont physiquement les moyens de consulter l’information de ceux qui n’en disposent pas (déficits visuels, auditifs ou paralysies).
Nous nous intéresserons dans le cadre de cet article uniquement à la fracture numérique qui s’exprime dans l’environnement professionnel des pays développés.
Eléments de diagnostic
Pourquoi une fracture numérique devrait-elle être réduite ? Au-delà de considérations éthiques ou morales, tout simplement parce que le système d’information tend à devenir un véritable système nerveux qui irrigue l’organisation. Ce faisant, il outille mais aussi structure a priori certaines interactions qui, in fine, déterminent la performance. Trois éléments conditionnent la performance : le capital (matériel et immatériel), potentialisé par les processus, eux-mêmes orientés par le comportement en situation professionnelle. Ainsi seulement l’entreprise ou l’institution peut-elle délivrer sa promesse à son environnement.
Or, le système d’information impacte chacun de ces éléments. Il permet en effet :
- de gérer le capital sous toutes ses formes : temps (applications de gestion des temps), salaires (gestion de la paie), connaissances (bases de connaissances, KM - knowledge management), compétences (applications de recrutement, de formation - e-learning -, référentiels et aires de mobilité en ligne), documents (GED, gestion électronique de documents), biens meubles et immeubles (annuaires LDAP, lightweight directory access protocol) ;
- d’outiller les processus, qu’ils soient transverses à l’organisation (BPM - business process management, SCM - supply-chain management) ou spécifiques à un métier (communautés de pratiques, applications décisionnelles orientées Direction Générale : CPM, corporate performance management), internes (espaces intranets syndicaux, ERM - employee relationship management) ou externes (CRM, customer relationship management) ;
- d’influer sur le comportement en situation professionnelle : psychologie et sociologie des organisations fournissent de nombreux exemples de leviers comportementaux dont le système d’information, et en particulier les intranets de nouvelle génération, facilitent la mobilisation. Par exemple : reporting et contrôle hiérarchique, motivation, socialisation1.
La fracture numérique entraîne soit la sous-optimisation de chacune de ces interactions, lorsque la situation de travail n’exige pas l’utilisation d’une application informatique, mais pourrait cependant s’en trouver améliorée (cas symptomatique des populations cols bleus), soit leur neutralisation pure et simple, lorsque la situation de travail l’exige, mais que la maîtrise de l’outil fait défaut (cas symptomatique des populations cols blancs, ou, bien malgré elles, des personnes handicapées à qui des moyens spécifiques d’interaction avec l’outil informatique ne sont pas fournis).
Le diagnostic de la fracture numérique s’établit donc à la lumière de ces symptômes : coût d’opportunité dans le meilleur des cas, rupture de certains processus dans le pire. Au final, c’est bien la performance qui s’en trouve diminuée.
L’ordonnance
Quel que soit le symptôme, l’ordonnance est finalement assez simple à établir. Si l’on a « mal à sa performance », on se portera d’autant mieux que :
- des actions de sensibilisation et de formation à l’usage des outils informatiques auront été menées ;
- l’accès de certaines populations à ces mêmes outils, et tout particulièrement au portail intranet commun, aura été facilité par la mise à disposition de terminaux adaptés. Pour les cols bleus et les collaborateurs itinérants, des terminaux de type bornes, WebTV ou PDA doivent être envisagés. Pour les personnes handicapées, des applications vocalisant l’information, grossissant les caractères ou se substituant sous diverses formes au clavier traditionnel existent. Dans les deux cas, une adaptation ergonomique des contenus au format ou au mode de consultation est nécessaire ;
- une réflexion d’ensemble sur la création numérique de valeur aura été menée, en identifiant systématiquement les apports du système d’information à la gestion du capital, l’outillage des processus et la régulation des comportements.
Une mise en perspective de ces apports dans une approche méthodologique par le retour sur investissement permettra de ne pas confondre remède et panacée. L’objectif est en effet de parvenir au meilleur équilibre entre le capital à mobiliser, le processus à outiller, le comportement à promouvoir, et le support.
Ainsi, chez PSA-Peugeot Citroën, environ la moitié des salariés n’ont pas accès à l’intranet, essentiellement les employés des sites de production. Bien que certaines bornes de consultation aient été installées, la volonté n’est pas d’aller vers le tout-intranet. Ainsi que l’indiquait en novembre 2003 la Responsable e-communication du groupe dans une interview au Journal du Management : « Nous ne souhaitons pas mettre de l'intranet à toutes les sauces ».
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1 Voir, du même auteur, sur ce même site Intranet et motivation des individus au travail (septembre 2003) et Vers l’intranet management (décembre 2003)
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