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  Mai 2005
     

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Google versus bibliothèque numérique européenne : et si l'on pensait aux utilisateurs ?

 
 
   


Par Véronique Mesguich

"Quand on proclama que la Bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant. Tous les hommes se sentirent maîtres d'un trésor intact et secret." (Jorge Luis Borges, "La Bibliothèque de Babel", in Fictions).

Les réactions, parfois passionnées, à l'annonce du projet de Google visant à numériser et mettre en ligne les fonds de bibliothèques universitaires ou publiques, ne furent pas, en France du moins, un "bonheur extravagant". Mais, alors que la notion de "document" est en train de changer et que ses usages peuvent différer sensiblement, ne serait-il pas plus judicieux, au lieu de mettre en avant les outils, de penser d'abord aux "contenus" et à leurs utilisateurs ?

Au-delà des arguments d'ordre économique, géopolitique, juridique et technique que soulèvent le projet de Google, un fait demeure : la production éditoriale s'accroît de façon phénoménale (plus d'un million de titres paraissent chaque année, plus de sept cent mille titres de périodiques, des milliers de bases de données…). A titre de comparaison, le projet de Google ne vise "que" quelque quinze millions d'ouvrages. Avec le développement des contenus numériques, le rêve de la "bibliothèque sans murs", évoqué par Roger Chartier se réalise en partie, et cette "bibliothèque universelle" ne se fera pas sans médiation humaine.

La réalité du débat se situe donc autour de l'évolution du savoir-faire et de la mission historique des bibliothécaires : la structuration de l'information pour lutter contre le chaos informationnel, que Georges Perec résume magnifiquement dans le raccourci "penser/classer".

L'inadéquation entre les besoins et les outils

Car si les outils de recherche web disponibles commencent à classer automatiquement des résultats de recherche, ils ne savent pas encore "penser". C'est ici que les nouveaux bibliothécaires ont un rôle à jouer, en assurant des formations à la maîtrise de l'information. Les utilisateurs doivent notamment être mieux formés à l'évaluation de la qualité de l'information.

Or, il n'existe pas d'association des usagers de la recherche d'information, comme il existe par ailleurs des groupements d'usagers du téléphone. La difficulté réside dans le nombre et la variété des publics d'utilisateurs (enseignants/étudiants, entreprises, grand public…), mais il n'est pas impossible d'imaginer une extension des missions du W3C ou d'un groupe similaire, voire d'un groupe de travail commun entre l'ICANN et le W3C.

La force actuelle de Google réside dans l'intégration de la diversité des publics, en offrant non seulement une personnalisation de l'interface et une multitude de services associés (Gmail, Google News, Froogle…), mais aussi un premier niveau d'archivage de documents scientifiques (Google Scholar complémentaire au moteur Scirus, déjà existant) ou une suggestion de mots clés (Google suggest). Google Scholar semble être un outil de recherche efficace, mais sa qualité repose avant tout sur le choix des documents mis en ligne. En ce sens, il capitalise sur le travail éditorial effectué en amont, démontrant la valeur de ce travail et l'aspect crucial de son exécution. La question, en aval, de l'évaluation de l'information et de son usage n'en reste pas moins posée.

Des moteurs dits de "troisième génération" émergent en proposant personnalisation et géolocalisation (que Google a dupliquée depuis), contextualisation, représentation cartographique des résultats. De nouveaux outils apparaissent également en matière de text mining, de recherche par contextualisation, ainsi que des outils linguistiques, et plusieurs d'entre eux sont européens (Exalead, Kartoo, Arisem, Temis, Sinequa, Lingway…). La technologie n'est donc pas vraiment le point faible de l'Europe.

Mais, encore une fois, ces innovations tiennent-elles compte des réels besoins des utilisateurs ?

Tout moteur de recherche périra ?

Plutôt que la création d'un "Google européen", l'éditeur espagnol José Antonio Millan préconise "une véritable coordination des bibliothèques dans les pratiques de numérisation". Il incombe aux bibliothèques de promouvoir les standards ouverts (OAI) qui permettent d'offrir une visibilité accrue aux documents (fonds spécialisés, fonds patrimoniaux numérisés, publications électroniques…) en facilitant l'échange entre fournisseurs de données et de services. Le développement du web sémantique et des outils associés (ontologies, moteurs de recherche sémantiques) permettront de donner une couche de sens au désordre informationnel et constituent le véritable enjeu.

Il s'agit donc avant tout de définir et d'utiliser des normes assurant l'interopérabilité des documents numériques, et favoriser les partenariats entre détenteurs de collections. Or, c'est ici que pêche le projet européen, car "après avoir construit les bibliothèques comme des maisons de livres, il serait bon de penser la bibliothèque aussi comme la maison des hommes" (Michel Melot). Le rôle des bibliothèques, plutôt que de jouer la concurrence et le défi, est plus que jamais de faciliter cet accès, en mettant au centre non pas l'outil mais les contenus et les hommes.

Or, si la hausse du budget pour la création d'une bibliothèque européenne en ligne, à l'initiative du Président du Conseil européen, Jean Claude Junker, et la signature par 19 bibliothèques européennes en avril dernier d'une motion en faveur "d'une numérisation large et organisée des œuvres appartenant au patrimoine de notre continent" sont positives, il ne faut pas occulter le fiasco que représente la numérisation au format PDF des contenus francophones par la BNF - de facto inaccessibles à une recherche textuelle de première génération, selon une logique purement patrimoniale. En outre, le projet de la BNF laisse dans l'ombre la dimension humaine de l'accès à l'information.

La crainte de voir émerger une hégémonie linguistique et un prisme anglo-saxon d'accès à la connaissance semblent bien faibles face à ces enjeux. Resitué dans son cadre historique, le débat montre en effet que si les acteurs changent, les enjeux demeurent. Le terme "Google" est devenu aux Etats-Unis un générique de la recherche d'information, mais cela ne signifie pas que ce moteur existera pour l'éternité. Certains chercheurs français ont évoqué la possibilité de remplacer Google par un modèle peer to peer, ou bien par des outils en mode Open Source (le Projet Nutch, initié par Overture, filiale de…Yahoo).

Du monde clos à l'univers infini

Il s'agit avant tout de prendre en compte la diversité des utilisateurs autant que la richesse exceptionnelle des fonds. Les utilisateurs demandent des accès simples, des outils fonctionnels, faciles à utiliser, des contenus variés et de préférence gratuits. De nombreux projets de réseaux entre fonds numérisés existent déjà, des coopérations voient le jour. Plutôt que d'investir dans le développement d'outil coûteux, les bibliothèques, qu'elles soient nationales, universitaires, municipales, généralistes ou spécialisées, se doivent de jouer la carte du partage et de la complémentarité. Car il en va du web comme de l'univers : illimité, toujours en expansion et en cours de renouvellement et "Google est un télescope trop souvent utilisé comme une simple loupe" (Olivier Ertzscheid).

 
 
 
Liens


Pour en savoir plus

Voilà la bibliothèque Google Print

- PC Inpact


World Wide Web Consortium

(W3C)


The Internet Corporation for Assigned Names and Numbers
(ICANN)

Bibliographie

Jean Noel Jeanneney, Quand Google défie l'Europe, Mille et une nuits, 2005

Renaud Donnedieu de Vabres, "Google n'est pas la fin de l'histoire", Le Monde, 17 mars 2005

Pierre Buhler, "No Google please, we're french", International Herald Tribune, 29 avril 2005

Juan Antonio Millan, "A quoi bon un projet européen concurrent ?", Courrier International, 28 avril 2005

Georges Perec, Penser/classer, Seuil, 2003

Equipe BPI, Babel ou le choix du caviste : la bibliothèque à l'heure du numérique, janvier 2002

Jérôme Charron, BLog Motrech, mai 2005

Olivier Ertzcheid, "Faut-il avoir peur de Google ?", Le Monde, 5 janvier 2005

Roger Chartier, "Lecteurs et lectures à l'âge de la textualité électronique", Editions de la BPI, 2001

Jeremy Rifkin, L'âge de l'accès, Pocket, 2002

Michel Melot, La forme du fonds, La Bibliothèque, Autrement, 1991


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